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Y a-t-il une révolution en Islande ?

février 18, 2011

Écrit par PHT |, in Sharknews.fr

J’adore les pays discrets comme l’Islande, un pays où même ce que d’autres appelleraient une révolution se passe à pas feutrés. Discret à tel point qu’on peut se demander si c’est vraiment d’une révolution dont on parle, s’il ne s’agit pas tout simplement d’une accélération temporaire dans le jeu d’échec de la politique locale. Pourtant, si l’on dresse la liste des évènements qui ont touché le pays depuis 2008, on doit constater qu’aucun pays « occidental » ne s’est récemment réinventé avec autant d’énergie que l’Islande.

Tout commence en 2008, l’année de la crise, une année pour les livres d’Histoire. Le pays compte 300 000 habitants, l’équivalent d’une grosse ville de province française, est classé au deuxième rang mondial sur l’IDH, l’indice de développement humain, juste derrière la Norvège, le volcan Eyjafjöll ne s’est pas encore réveillé et le ministère du tourisme inonde les couloirs du métro parisien de photos de jolies filles se prélassant dans une source thermale naturelle, je pense avec nostalgie à Solveig, mon premier amour de maternelle, tout va pour le mieux.

Mais depuis quelques temps déjà, l’Islande vit dangereusement au cœur d’une bulle financière. Pour compenser la hausse des prix, les taux d’intérêts ont été portés à 15,5%, ce qui attire une quantité gigantesque d’investisseurs étrangers souhaitant déposer des avoirs en couronne islandaise. La masse monétaire s’accroit de 37% l’année précédant la crise et le journal The Economist déclare la couronne islandaise « la monnaie la plus surévaluée du monde ». Puis la crise arrive, particulièrement violente pour l’île dont le système bancaire s’effondre. Les trois banques principales, Glitnir, Landsbanki et Kaupthing tirent le signal d’alarme de la faillite et sont nationalisées pour survivre. La dette du pays, principalement détenue par les banques, atteint 9553 milliards de couronnes, pour un PIB de 1279 milliards, somme que la banque centrale ne peut pas assumer. En parallèle la monnaie est dramatiquement dévaluée pour tenter de relancer les exportations et le tourisme, la manœuvre marche honnêtement mais pénalise le remboursement des dettes tenues par les créanciers étrangers. Les islandais se retrouvent individuellement endettés à 240% de leurs revenus disponibles. L’âge d’or est terminé.

 

C’est à ce moment, et pour la première fois dans l’histoire du pays, que le peuple descend dans la rue. Le palais présidentiel est assiégé par une foule pacifique et le gouvernement de droite doit céder la place sous la pression populaire. Un nouveau gouvernement social-démocrate est institué, mais quelques temps plus tard il se trouve face à un problème épineux, le remboursement d’une dette de 3,5 milliards€ qui correspond à la faillite d’Icesave, filiale de Landbanki, opérant surtout au Royaume-Uni et au Danemark. Sous la pression de l’Union européenne, à laquelle les sociaux-démocrates souhaitent adhérer, le gouvernement fait voter en janvier 2010 une loi autorisant ce remboursement et les islandais retournent dans la rue. Ils réussissent à obtenir qu’un référendum sur la question soit organisé, afin de pouvoir voter non à l’accord prévu à 93%. Le problème reste en suspens et l’hésitation politique est à son maximum, alors, le 27 novembre 2010, le peuple islandais décide de réécrire sa constitution qui date de 1944. A cet effet, il élit une assemblée constituante, composée de 25 membres, des simples citoyens ayant répondu à l’appel. La nouvelle constitution devrait être soumise au vote avant l’été. Parmi les idées les plus susceptibles d’être représentées, on trouve la séparation de l’Eglise et de l’état, la séparation stricte des pouvoirs exécutifs et législatifs et la nationalisation de l’ensemble des ressources naturelles.

Question pour la conscience du lecteur : que se passerait-il si, en France, le gouvernement souhaitait faire porter aux citoyens le poids du refinancement de certaines de nos banques privées ? Ne cherchez pas, c’est déjà le cas. Vous me direz que je suis mauvaise langue, que les banques françaises vont mieux, que la BNP Paribas a annoncé ce jeudi un bénéfice net de 7,8 milliards€ et que la SG a sextuplé ses bénéfices pour 2010 ; c’est vrai ; mais dans le même temps, la librairie en bas de chez moi, fermée il y a un an et demi, n’est toujours pas ré-ouverte.

 

Dans certains pays, le gouvernement décide de tout, dans d’autres, il est obligé de demander l’accord du peuple pour chaque nouvelle loi, en Islande, c’est le peuple lui-même qui est à l’origine de chaque décision. Pour comparaison, en France, la réforme constitutionnelle de 2008 a été entièrement rédigée à l’Elysée, votée de justesse au parlement grâce à la pression présidentielle et communiquée de manière lapidaire aux premiers concernés, nous. J’ai déjà abordé, pour d’autres raisons, la question de la représentativité dans les démocraties dans Démocratie, chose publique et corrida. Elire un gouvernement une fois tous les cinq ans, même au suffrage universel, n’est pas la garantie d’une juste représentativité. Le pouvoir législatif échappe au peuple pour une durée fixe et revient aux partis politiques qui n’ont pas du tout les mêmes objectifs. Or, lorsque les citoyens suppriment l’intermédiaire des mandataires et dictent directement leurs volontés, ils passent d’un état représentatif à un état démocratique, ce qui n’est pas la même chose. Il y a donc bien eu révolution en Islande, un gouvernement a été déposé par pression populaire, un référendum a été imposé, des lois refusées par le peuple et la constitution est en cours de réécriture par une assemblée constituante temporaire. On peut raisonnablement considérer que le système représentatif a connu une défaite importante et que cette dernière mérite toute notre attention.

 

J’adore les pays discrets comme l’Islande, leur révolution tâtonne et c’est bien normal, mais si elle porte de beaux fruits, elle montrera à nos vieux systèmes qu’une démocratie peut toujours être améliorée, que les contestations ne sont pas réservées aux pays du Sud et qu’on peut changer un système politique sans voir un seul gendarme. On peut même rêver que le « modèle islandais » devienne une référence pour les changements politiques en Europe comme les « révolutions colorées » l’ont été pour les pays de l’ex-CEI. Evidemment l’avenir du pays n’est pas encore clair et les esprits chagrins ne manqueront pas, dans les mois qui viennent, à chaque hésitation, de parler avec un sourire narquois de l’échec de l’utopie islandaise. Ce à quoi je répondrai que sans utopie il n’y a pas de progrès et que si l’Histoire avait dû s’arrêter à l’exécution de Camille Desmoulins, au consulat ou à la restauration, je n’aurai pas le droit d’écrire ces lignes, ni vous de les lire. S’il y a une seule leçon à tirer des évènements islandais, c’est que représentativité et démocratie sont deux choses différentes, qu’attaquer la première ne fait pas de nous des vilains antidémocrates, en revanche, réfléchir à la deuxième ferait de nous des progressistes et cela ne nous ferait pas de mal.

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